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Gad Elmaleh: «La Vierge Marie est mon plus beau coup de foudre»

un article de Clara Géliot, extrait du Figaro Magasine du 4 novembre 2022


À 51 ans, l'artiste cherche la vérité avant les rires.

À 51 ans, l’artiste cherche la vérité avant les rires. Philippe Quaisse pour Le Figaro Magazine

ENTRETIEN – Dans un film se jouant de la réalité et de la fiction, l’humoriste se met en scène dans une sorte de coming out catholique où il retrace sa quête spirituelle et son chemin vers le baptême.

Quelques signaux étaient apparus dans son parcours comme des ­petites bougies illuminant un cheminement. En 2019, Gad Elmaleh affichait son nom à la production d’un spectacle musical donné à Lourdes sur la vie de Bernadette Soubirous. Dans son dernier spectacle, D’ailleurs, il chantait les louanges des rites catholiques dans un sketch aussi drôle que courageux. Et d’un lieu de pèlerinage à une célébration de canonisation, il n’est pas rare de croiser l’humoriste juif dans les lieux sacrés par les catholiques.

Reste un peu*, son nouveau film, nous éclaire enfin : en se plaçant des deux côtés de la caméra, en jouant son propre rôle au milieu de sa famille et en s’inspirant de son histoire personnelle, Gad Elmaleh lève le voile sur sa foi. Rencontre avec un homme en quête de profondeur et de joie.


LE FIGARO MAGAZINE. – Ce film évoquant votre conversion au catholicisme est-il autobiographique ?

Gad ELMALEH. – Il y a dans ce film des éléments autobiographiques et d’autres totalement scénarisés, mais je garde volontairement un mystère là-dessus. Le point de départ, qui est réel, c’est cette entrée dans une église de Casablanca, à l’âge de 6 ans, avec ma sœur, alors qu’on nous l’avait toujours interdit. Je me vois encore pousser la porte, j’entends le bruit et perçois le faisceau de lumière qui m’a ébloui. À l’intérieur, je me suis arrêté net devant une ­statue de la Vierge et, comme cueilli, j’ai fondu en larmes. On peut analyser cette réaction par le prisme pédopsychiatrique, psychanalytique, architectural, émotif, mais savoir si c’était une expérience mystique ou un simple plaisir transgressif m’importe peu finalement, car j’ai simplement le sentiment d’avoir vécu une rencontre qui m’a bouleversé et métamorphosé. En sortant, je me suis demandé pourquoi on m’avait interdit d’entrer dans un endroit aussi beau, apaisant et réconfortant que celui-là.

Vous êtes né dans une famille juive sépharade assez traditionaliste. Receviez-vous alors une éducation religieuse à l’école ?

Oui, j’ai eu la chance d’étudier dans une yechiva, un ­centre d’apprentissage de la Torah et du Talmud, où l’on étudie l’analyse de l’Ancien Testament. J’ai donc appris à lire et à écrire l’araméen, langue dans laquelle s’exprimaient Rachi et Onkelos, mais aussi Jésus… Pourtant, pendant toutes ces années, j’ai gardé l’expérience à l’église comme un secret, car il était impensable pour moi de l’évoquer à la maison ou à l’école. Les juifs partagent avec les musulmans le même commandement de ne pas entrer dans les lieux de culte chrétiens pour ne pas risquer de commettre le péché d’idolâtrie avec un autre dieu que le nôtre. Mais pour la plupart, c’est surtout une superstition. Beaucoup (mon père, par exemple) n’assistent pas aux obsèques religieuses à cause de cela. C’est dommage parce que les enterrements catholiques sont magnifiques – dans mon dernier spectacle, D’ailleurs, j’en fais même un sketch où je raconte que, contrairement à chez nous, les cérémonies commencent toujours à l’heure, il y a une scénographie maîtrisée, le micro fonctionne… Plus sérieusement, je suis persuadé que fréquenter les églises me fortifie dans ma judéité.

Sur la terrasse de l’hôtel Brach, à Paris, l’échange était sincère, spontané et profond. Philippe Quaisse pour Le Figaro Magazine

Ce film nous éclaire sur les raisons de votre participation à la production du spectacle musical «Bernadette de Lourdes», créé en 2019…

Quand j’ai confié à Gilbert Coullier et Roberto ­Ciurleo que j’écrivais sur ma passion pour la Vierge Marie et que j’aimerais prendre part à leur projet, ils ont d’abord été surpris. Mais rapidement, ils ont compris que j’étais en quête et que j’aimais me rendre régulièrement à la basilique et au sanctuaire. Lourdes est un lieu de pèlerinage qui peut provoquer un ricanement, mais il reflète avant tout une détresse et une jeunesse qui donne du temps…

Avez-vous souvent l’occasion d’effectuer des retraites ?

Je me suis rendu à l’abbaye de Sénanque et j’y retournerais bien volontiers, mais depuis que j’ai lu Trois jours et trois nuits (Fayard), recensant les expériences de grands auteurs, je rêve aussi d’aller faire un tour à l’abbaye de Lagrasse, près de Narbonne, où des chanoines réguliers vivent selon la règle de saint Augustin.

Vous dites regretter la pudeur souvent trop grande des catho­liques…

Je suis étonné, en effet, qu’en France, une grande majorité de catholiques ne vivent pas leur foi au grand jour. Il y a une forme de pudeur et de retenue que les juifs et les musulmans n’ont pas. Je ne sais pas comment l’analyser mais, dès lors qu’ils sont dans l’amour et dans la joie, ils devraient être fiers d’être chrétiens !

En allant, cet été, à Paray-le-Monial, j’ai assisté à quelque chose que tout le monde devrait voir : des milliers de gens se réunissent quelques jours pour faire le bien, être dans l’amour, l’entraide, la réflexion. Alors, pour ­reprendre les mots de Jean-Paul II, je dirais : «N’ayez pas peur !». Moi, j’ai découvert la joie profonde grâce à la religion catholique et, n’en déplaise aux extrémistes, j’ai été très éclairé par son enseignement car il est jumelé à mon judaïsme. C’est pourquoi j’ai décidé de clore mon film par cette phrase de Jean-Marie Lustiger : «C’est ainsi que, dans le cours de mon existence, j’ai ­estimé que je devenais juif parce qu’en embrassant le ­christianisme, je découvrais enfin les valeurs du judaïsme, bien loin de les renier.»

Avec ce film, Gad s’est offert le plaisir de filmer ses parents. Laura Gilli

Si vous aviez rencontré le cardinal Lustiger, qu’auriez-vous aimé lui dire ?

Je lui aurais demandé : «N’avez-vous jamais eu peur ?». Je pense aux réactions de sa communauté et celle qu’aurait eue sa mère, morte dans un camp de concentration. Mais je l’aurais aussi prié de me parler de Jésus, de m’expliquer qui est cet homme, ce Juif décidé à réformer, et je lui aurais posé beaucoup d’autres questions parce que, malgré tout l’amour et la joie que je reçois de cette religion, il y a des questions que je n’arrive pas à ­résoudre, comme la Trinité, par exemple. Les cathos ont appelé ça un mystère joyeux. Merci, mais pour moi, «mystère joyeux» m’évoque surtout un nom de dessert !

Faut-il avoir un humour juif pour rire de la religion catholique ?

Tant qu’il y a de l’amour, peu importe l’humour. Toutes les vannes passent quand on se moque avec tendresse et générosité. Et avec un pas en arrière, on peut avoir une perception, une critique et une appréciation différentes.

Pourriez-vous faire un jour «La vérité si je mens» chez les cathos ?

C’est drôle parce que lorsque j’évoquais l’envie de faire ce film, tous mes interlocuteurs – et particulièrement les cathos – pensaient que j’allais faire une parodie à la ­manière d’Étienne Chatiliez dans La vie est un long fleuve tranquille. Mais moi, je suis premier degré ! Sans doute parce que je viens de l’extérieur, un peu comme lorsqu’un copain vous dit : «J’ai rencontré tes parents, je les adore» et que vous lui répondez : «Oui, enfin, mon père, il n’est pas toujours aussi cool.» On ne peut pas occulter toutes les problématiques et ­toutes les souffrances : le silence de l’Église pendant la Shoah, l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, l’Inquisition, Isabelle la Catholique… je parle de tout cela dans le film car cette voix parle aussi en moi et forge mon identité juive.

Depuis quelque temps, vous ­suivez des cours de théologie au Collège des Bernardins. En quoi l’étude «à la table» est-elle indispensable à votre quête ?

Tout a une histoire, une origine, un chemin, et j’aime les retracer. Je ne suis pas un grand lecteur et n’ai pas une culture littéraire extraordinaire, mais ayant une aversion pour l’approximation et la médiocrité intellectuelle, je préfère me documenter et m’entourer de gens informés. En ce moment, je lis Maïmonide, un pilier de sagesse dans la tradition juive, Charles de Foucauld, dont j’ai célébré la canonisation à Rome en mai dernier, et j’écoute les ­lectures, par Daniel Mesguich, des Confessions de saint AugustinCe philosophe et théologien chrétien romain d’origine berbère me séduit autant par sa poésie que par sa complainte car, d’une manière générale, j’aime les ­hommes qui défient Dieu ou se mettent en colère. Il y en a aussi dans la tradition juive, et cela me touche car l’idée de Dieu nous frustre, voire nous déçoit, parfois. Mais il y a surtout un recueil que nous partageons, qui n’a pas été adapté et qui ne me quitte jamais, ce sont les Psaumes. Je rêve d’organiser une lecture qui réunirait les copains juifs, chrétiens et même musulmans autour de ces textes, car ils sont somptueux.

Ce repas avec les frères de l’abbaye royale du Moncel est devenu une scène du film. Laura Gilli

Bref, au-delà du chemin personnel que je raconte dans le film, ces études nourrissent une grande curiosité que j’ai depuis toujours par rapport à la religion et aux ­religions. En fait, je suis le contraire d’un agnostique : l’hypothèse de Dieu me passionne et me donne de la joie. Bien sûr, quand je dis ça à un juif, il me dit :«Ils t’ont bien eu les cathos, avec leur joie !».

Si le film aborde clairement la conversion de votre «personnage», votre pudeur vous empêche de dire jusqu’où votre quête personnelle vous a mené. Pourtant, la conversion est un sujet qui vous bouleverse…

Quel qu’en soit le sens, cela prend la forme d’un virage si radical dans la vie d’un homme ou d’une femme que cela m’émeut en effet terriblement. Voilà pourquoi j’aime lire les récits de conversion écrits lors de la ­Seconde Guerre mondiale par des intellectuels juifs comme Bergson, Edith Stein, Jacques Maritain, ­Maurice Sachs ou la philosophe Simone Weil. Tous ces grands convertis n’ont pas demandé le baptême mais ont fait des conversions de cœur.

En ce qui vous concerne, peut-on déjà évoquer une conversion de cœur ?

Je parlerais plutôt d’attirance, de curiosité, d’amour, voire un coup de foudre pour la religion catholique. Et parce que j’aime l’idée d’être multiple et que je ne veux pas me laisser enfermer dans une case, je tiens à rester ouvert. Après, la vie me dira peut-être quel chemin prendre, mais ça m’appartiendra. Une chose est sûre, j’aime l’idée de réunir des juifs et des chrétiens car, au-delà du devoir de se connaître, je suis persuadé que nous ne pouvons pas vivre les uns sans les autres. Les catholiques ­appellent les juifs «nos frères aînés dans la foi», cela veut bien dire que l’on est une famille.

Le choix d’une religion (ou de l’athéisme) n’est-il pas ­nécessaire à un ancrage ?

Il l’est lorsqu’on parle d’identité. En tant que juif, je suis bien placé pour le savoir : le judaïsme, au-delà d’une pratique ou d’un culte, est une véritable identité – peut-être plus que le christianisme d’ailleurs –, notamment à travers la façon dont le juif est associé à son histoire et son passé. Mais tout ce qui est de l’ordre de la spiritualité et de la foi est ­indiscutable : personne ne peut contester, commenter ou juger l’attirance que l’on a pour un dieu. De la même manière que l’on tombe amoureux, il ne s’agit pas de personne mais d’état. La foi n’est pas stratégique.

À sa gauche, Mehdi Djaadi, comédien musulman converti au catholicisme. Laura Gilli

«Je veux me faire baptiser pour être plus proche de ­Marie», dites-vous dans le film. Que représente la Vierge pour vous ?

Le plus beau coup de foudre de ma vie ! C’est le symbole qui me touche, mais surtout ce qu’elle m’apporte. Si le film s’appelle Reste un peu, c’est parce que c’est une phrase que ma mère dit beaucoup et m’a répété toute ma jeunesse, mais, d’une certaine manière, c’est aussi moi qui le dis à Marie…

Avec ce film, vous revendiquez la volonté de «jouer avec le feu». Y a-t-il dans cette démarche un fond de provocation ?

Non, car la provocation implique l’idée de prêcher le faux pour déclencher une réaction. Je sais très bien ce que je fais avec ce film, j’ai conscience de ce que représente la conversion pour les juifs et j’entends déjà les premiers commentaires : certains juifs me disent «aïe ! aïe ! aïe ! j’ai envie de voir ton film, mais j’ai peur !» ; d’autres m’assurent qu’il est typiquement talmudique ; les cathos disent «alléluia !» ; certains musulmans s’y retrouvent totalement… Mais je ne peux pas dire que je suis aussi serein que lorsque je sors une comédie romantique. Il n’empêche, je ne crois pas qu’il faille adapter son travail artistique à son public. Cette fois, ce qui m’intéresse, c’est le dialogue, et je compte sur l’intelligence des spectateurs pour le créer. Ce qui me touche le plus est d’entendre un athée me dire qu’il est bouleversé parce que ce film montre quelqu’un qui entre en contact avec l’irrationnel, le spirituel, la foi, Dieu ou le divin (appelons-le comme on veut) par amour, et non par le biais d’une institution, un dogme ou une autorité.

«Cela me rend fou de faire comme si les différentes ­religions et toutes les communautés intrinsèques n’existaient pas» Laura Gilli

Êtes-vous par ailleurs un fervent défenseur de la laïcité ?

Je suis pour la démocratie et heureux que la justice, l’éducation ou la santé ne dépendent pas de la religion, mais cela me rend fou de faire comme si les différentes ­religions et toutes les communautés intrinsèques n’existaient pas. Aujourd’hui, on a tellement peur de la ­complexité qu’on évite tout sujet s’approchant de près ou de loin à la religion. Pendant les confinements, j’aurais aimé être éclairé par les hommes de foi. Sans parler des rites, de l’organisation des célébrations, j’aurais voulu connaître leur perception de l’humanité aujourd’hui et leur sentiment sur le risque, la détresse que nous traversions. Ça aurait été bien de partager une réflexion en dehors de celles qu’ont menées la classe poli­tique, le personnel soignant ou les acteurs de l’économie. Les corps et les portefeuilles, ils ont géré, mais les âmes, fallait-il aussi les masquer ?

En 2019, vous avez été invité à une audience avec le pape François. Comment cela s’est-il passé ?

Comme je n’avais jamais rencontré le pape Jean-Paul II, c’était la première fois que je «papotais» (rires). Avec l’équipe de Bernadette, nous sommes allés lui remettre la chanson-titre du spectacle musical. Je suis particulièrement sensible à l’authenticité des gens, et j’ai été très ému par la bonté naturelle de cet homme. Pour reprendre un terme très utilisé chez les cathos, je peux dire que c’était vraiment un moment de grâce. D’ailleurs, je n’ai jamais autant envisagé ce mot depuis que je m’intéresse à la foi catholique, et les «moments de grâce» que l’on peut ­vivre sur scène avec une improvisation ou une fulgurance sont des choses qui nous dépassent.

Comment avez-vous rencontré le père Barthélemy et sœur Catherine que l’on voit dans le film ?

Grâce à Roberto Ciurleo. Quand il m’a présenté, à ­Lourdes, sœur Catherine, je suis – comme disent les ­Canadiens – tombé en amour ! Elle est drôle, vivante, ­lumineuse, généreuse et parce que cette sœur catholique s’intéresse beaucoup au judaïsme, tout à coup, dans ses yeux, je ne me suis plus vu comme un gars qui faisait une incursion dans la «catho­sphère», mais comme quelqu’un avec qui il pouvait y avoir un échange et une vraie connexion. Catherine connaît la prière du kab­balat de shabbat, elle sait réciter le Lekha dodi, elle chante Shalom Alekhem, connaît les prières en hébreu et, comme elle est fascinée par la liturgie juive, elle parle volontiers de l’Ancien Testament… Bref, avec elle, on va loin et c’est profond. D’ailleurs, elle est rapidement devenue mon amie, ma confidente ; on s’envoie très souvent des textos, des textes religieux, elle prie pour moi… et, dans le film, elle ne joue pas, elle est elle-même.

Sœur Catherine est devenue une confidente, une amie. Laura Gilli

Quant au père Barthélemy, je l’ai connu pendant l’écriture du scénario. J’écrivais avec Benjamin Charbit – un scénariste très doué à qui l’on doit notamment Bac Nord –, mais j’avais besoin d’un religieux susceptible de m’aider à créer les scènes parlant de conversion, et ­Roberto m’a orienté vers ce prêtre d’une paroisse de Boulogne-Billancourt. Quand je lui ai envoyé un texto, il a un peu halluciné et, la veille de sa venue à la maison, il m’a même envoyé un message bouleversant disant «j’ai le trac». Mais ce qui devait être un rendez-vous d’une heure s’est transformé en discussion de quatre heures. Il m’a appris ce qu’était le catéchuménat – mot dont je m’amuse dans le film – et, d’une visite à un échange, nous sommes devenus copains. Et au moment de choisir qui allait l’incarner dans le film, je me suis dit pourquoi aller chercher un acteur qui va porter des cos­tumes de prêtre et me faire des ­têtes de prêtre alors que lui serait parfait dans son propre rôle ?

Cette forme un peu hybride de ­docu-fiction s’est-elle imposée immédiatement ?

Non, la première version du ­scénario nous plaçait vraiment dans la fiction. Je m’appelais ­Joseph, j’étais écrivain et, revenant des États-Unis, j’écrivais sur la Vierge Marie et tombais amoureux de mon éditrice. Mais quand Benjamin Charbit l’a lu et m’a demandé qui était Joseph, j’ai bien dû lui dire que c’était mon deuxième prénom, bref que c’était moi. À ce moment-là, je me suis résolu à enlever ce que j’appelle «le gras», tout ce qui m’éloignait de moi. Cela ne m’empêche pourtant pas de laisser planer un doute sur la frontière entre fiction et réalité, et j’avoue que ça m’amuse qu’on puisse se demander, à propos de ce film de juif, si c’est du lard ou du cochon !

Mettre en scène vos parents et votre sœur dans ce film était-il une manière de crever l’abcès ?

Honnêtement, oui. C’est ce que les sociologues appellent le schéma de maîtrise. Je suis en train de lire Rester juif ?, de Yaël Hirsh, sur la conversion, et elle explique bien cette habitude qu’ont les intellectuels ou les artistes d’accompagner leur cheminement spirituel d’un récit, comme d’une béquille ou d’une obligation d’aller au bout. Mais en embarquant les miens dans ce film, je m’assurais aussi le plaisir de jouer avec mes parents et je risquais moins de m’éloigner de la vérité.

David, le père, est un ancien mime, et Régine, la mère, naturellement drôle. Laura Gilli

Pourquoi Arié, votre frère, comédien, n’est-il pas au casting ?

En tant qu’acteur accompli, je pense qu’il a trouvé étrange que je lui dise : «Tu ne veux pas faire un film avec papa, maman, Judith et moi ?». Mais je le comprends, car il faut dire que je suis resté très secret par rapport à ma démarche ; je présentais le projet comme un film sur la crise de la cinquantaine et j’avoue que, sur ce coup-là, j’ai un peu arnaqué mes parents (rires).

Ce besoin de vous rapprocher de la vérité a-t-il été motivé par les accusations de plagiat dont vous avez fait l’objet en 2019 ?

Inconsciemment, sûrement. Et d’une certaine manière, je suis reconnaissant de ce qui est arrivé, car cela m’a beaucoup appris. J’ai analysé les critiques, travaillé sur moi et j’en ai fait quelque chose de pur. Et pour le coup, on ne pourra pas me reprocher d’avoir emprunté cette histoire à quelqu’un ; si je ne l’avais pas vécue, je n’aurais pas pu l’inventer !

Aviez-vous conscience, en le faisant, que ce film était une œuvre courageuse ?

Non, car le courage n’est pas quelque chose dont on doit avoir conscience. Et s’il l’est, c’est parce que je l’ai fait sans me demander s’il plairait. Ma seule préoccupation, et ce n’est pas une posture, est de savoir s’il nous permettra d’avancer. J’aimerais sincèrement que ça incite les communautés à se parler et à se connaître davantage, qu’on puisse connecter juifs, chrétiens et musulmans dans la fraternité. La raison pour laquelle, au Maroc, nous avons grandi en harmonie, c’est qu’on se connaissait : les petits musulmans connaissaient les rites des juifs, et inversement. J’ai conscience de la complexité de cette affaire, car je ne suis pas dans l’œcuménisme, que je considère comme une posture institutionnelle et politique – la photo qui réunit l’imam, le rabbin et le prêtre est jolie, mais on la prend toujours après l’accident. Moi, j’aimerais qu’on se réunisse en dehors des drames et qu’on se protège les uns les autres, comme des frères.



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